Guidage en occlusion de dents incluses : Étude de cas

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SOMMAIRE

Le retard d'éruption d'une dent permanente peut être une grande préoccupation pour les enfants au stade de la dentition mixte et leurs parents. La présente étude de cas décrit un traitement orthodontique qui a permis de guider en occlusion une dent n'ayant pas fait éruption, et qui a été pratiqué au stade de la dentition mixte, sans attendre la dentition permanente. Cet article décrit la mécanique d'un traitement qui peut facilement être exécuté par des dentistes généralistes.


Introduction

On considère qu'il y a retard d'éruption lorsque l'apparition de la dent dans la cavité buccale survient à une période qui s'écarte largement des normes établies pour les personnes du même sexe et de la même origine ethnique1. En règle générale, l'éruption d'une dent permanente devrait survenir au plus tard 6 mois après l'exfoliation naturelle de la dent primaire qui la précède, bien qu'un retard allant jusqu'à 12 mois puisse avoir peu ou pas d'importance chez un enfant par ailleurs en bonne santé2. La plupart des dentistes considèrent donc qu'il y a retard d'éruption seulement après un délai de plus d'un an.

On juge que l'éruption d'une dent est retardée (c.-à-d. que la dent est incluse) lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies3 :

  • Le délai normal d'éruption est dépassé.
  • La dent n'est pas présente dans l'arcade et ne montre aucun signe d'éruption.
  • La racine de la dent incluse est complètement formée.
  • La dent homologue a fait éruption il y a au moins 6 mois.

Outre les troisièmes molaires, les canines supérieures, les incisives centrales supérieures et les deuxièmes prémolaires inférieures sont les dents les plus susceptibles d'être incluses4. Nous traitons dans cet article du retard d'éruption d'une incisive centrale supérieure permanente dû à la présence d'une dent surnuméraire, et illustrons par une étude de cas les principes du traitement orthodontique en pareils cas.

Étude de cas

Diagnostic

Une préadolescente (âgée de 9 ans et 2 mois) et sa mère ont consulté un dentiste en cabinet privé. Une dent permanente antérieure était manquante chez la patiente, et ce problème d'esthétique préoccupait la mère et l'enfant (ill. 1). Une dent surnuméraire avait été extraite lorsque la fillette avait 7 ans et on lui avait alors conseillé d'attendre l'éruption de la dent permanente.

L'examen clinique fait au moment de la présente consultation a révélé une bonne hygiène buccodentaire et une dentition mixte. La patiente était à un stade avancé sur le plan de l'âge dentaire, l'incisive centrale droite, les deux incisives latérales ainsi que les premières prémolaires et molaires supérieures ayant toutes fait éruption. Cependant, l'incisive centrale supérieure gauche était toujours absente et l'espace était légèrement réduit. L'incisive centrale controlatérale était présente en bouche depuis plus de 2 ans. Comme la dent permanente n'avait toujours pas fait éruption plus de 2 ans après l'extraction de la dent surnuméraire, la patiente et sa mère souhaitaient un traitement actif pour améliorer l'esthétique.

La première étape fut de déterminer la cause du retard d'éruption. Dans le cas présent, le retard était dû à la présence de gencive fibreuse dans le trajet d'éruption. Il a ensuite fallu localiser la dent incluse. Comme c'est le cas de la plupart des incisives supérieures, la dent était incluse en direction labiale. Elle a été localisée par palpation et son emplacement a été confirmé par 2 radiographies prises dans des angles différents, puis par l'application de la règle de Clark (buccal object rule)5. Des modèles d'étude ont été préparés et des radiographies antérieures rétroalvéolaires et occlusales ainsi qu'une série de photographies ont été prises. Il a toutefois été décidé de reporter la prise de radiographies céphalométriques panoramiques et latérales, car le problème était localisé et le traitement prévu n'était pas censé empêcher le recours futur à un traitement orthodontique plus poussé. L'incisive supérieure incluse était dans une position labiolinguale favorable, sans rotation ni angulation apparentes (ill. 2). Le choix du traitement a été justifié du fait que l'esthétique était la principale raison de la consultation et que l'enfant avait déjà 9 ans : l'éruption des deux incisives latérales était terminée et l'apex de l'incisive centrale supérieure incluse était presque fermé. L'éruption naturelle de la dent semblait donc improbable. Le traitement décrit ci-après a été exécuté après avoir obtenu le consentement éclairé écrit du parent.

Ill. 1 : La photographie de la fillette de 9 ans au moment de la consultation montre l'absence de l'incisive centrale supérieure gauche. L'éruption de l'incisive centrale supérieure droite et des deux incisives latérales supérieures est terminée.

Ill. 2 : La radiographie prise au moment de la consultation montre l'incisive permanente supérieure gauche incluse.






Mécanique du traitement

Un appareil orthodontique partiel fixe a été fabriqué en fixant des bagues orthodontiques aux deux premières molaires supérieures permanentes et en posant des boîtiers aux incisives permanentes qui avaient fait éruption. Si l'on avait eu besoin d'une plus grande stabilité, on aurait pu aussi poser des boîtiers aux canines supérieures primaires ou aux premières molaires primaires ou aux premières prémolaires permanentes. Un fil de nickel-titane non rigide et souple a été fixé pour niveler l'arcade dentaire, ainsi que pour aligner et appliquer un mouvement de rotation aux dents du segment antérieur.

Comme il y avait eu perte d'espace dans la région de l'incisive supérieure incluse, ce fil a été remplacé par un fil rigide en acier inoxydable. Un ressort hélicoïdal ouvert a ensuite été inséré dans la zone de l'incisive supérieure incluse pour récupérer le petit espace qui avait été perdu sous l'effet du déplacement des dents adjacentes.

Un anesthésique local a été administré et l'incisive centrale supérieure gauche incluse a été exposée en retirant le tissu gingival qui recouvrait la face labiale de la dent. Un boîtier orthodontique a ensuite été fixé à la dent (ill. 3).

La dent incluse a été intégrée à l'appareil orthodontique partiel en engageant dans le boîtier une chaînette élastique (ill. 4). Une légère force d'extrusion (20 g) a été appliquée pour guider l'éruption de l'incisive supérieure incluse dans l'arcade dentaire. Un ressort hélicoïdal ouvert a été inséré entre les dents adjacentes, la pression exercée par ce ressort visant simplement à contrebalancer la force appliquée par la chaînette élastique. La dent a fait éruption rapidement (en moins de 3 mois) et a été guidée en occlusion (ill. 5).

Lorsque l'incisive supérieure eut atteint la position désirée dans l'arcade dentaire, un dernier ajustement (nivellement, alignement et rotation) a été fait, suivi d'une période de rétention. La patiente et sa mère ont été satisfaites des résultats esthétiques du traitement (ill. 6).

Ill. 3 : Photographie obtenue après l'exposition de l'incisive centrale supérieure gauche et la fixation du boîtier.

Ill. 4 : L'incisive supérieure gauche a été intégrée à l'appareil orthodontique partiel fixe à l'aide d'une chaînette élastique. Une légère force d'extrusion est appliquée pour guider l'éruption de la dent.






Ill. 5 : Photographie obtenue 3 mois après le début du traitement. L'incisive supérieure gauche a été guidée en occlusion et l'alignement et le nivellement sont presque terminés.

Ill. 6 : Photographie de la dentition permanente de la patiente, 2 ans après la fin du traitement. L'esthétique de la dentition a été rétablie, ce qui a permis de corriger le principal problème soulevé par la patiente et sa mère.






Discussion

Causes du retard d'éruption

Dans un vaste échantillon de cas6, la présence de dents surnuméraires a été la cause la plus fréquente (près de la moitié des 47 cas) du retard d'éruption des incisives permanentes supérieures. Divers autres facteurs ont aussi été relevés, notamment des causes localisées telles qu'un odontome, une dilacération, la malposition de l'embryon de la dent, le chevauchement, la présence d'un kyste odontogène calcifiant ou un traumatisme de la dent primaire correspondante (qui cause souvent la formation de tissus gingivaux fibreux au site d'éruption)6. Dans le cas présent, il y a eu formation de tissus gingivaux fibreux après l'extraction de la dent surnuméraire. Le retard d'éruption généralisé des incisives supérieures peut aussi être dû à des affections systémiques telles que la dysostose cléïdo-crânienne, l'hypothyroïdie, le syndrome de Gardner ou le syndrome de Down2.

Prévalence et importance clinique des dents surnuméraires

Les dents surnuméraires dans le prémaxillaire, communément appelées mésiodens, représentent 90 % de toutes les dents surnuméraires7. Les mésiodens sont plus fréquentes chez les garçons que chez les filles (ratio de 2,1:1)8. Les dents surnuméraires sont dites coniques ou tuberculées. Les dents de type conique représentent 75 % de toutes les dents surnuméraires et sont plus susceptibles de faire éruption de façon spontanée que les dents tuberculées7. Une forte proportion (78,8 %) des mésiodens sont totalement incluses et leur présence n'est habituellement découverte qu'à la radiographie8. Bien que l'étiologie précise des mésiodens reste à élucider, la prolifération de la lame dentaire et des facteurs génétiques ont été mis en cause9. Les incisives centrales supérieures incluses s'observent le plus souvent du côté labial4. Dans le cas présent, la dent surnuméraire était aussi en position labiale. Une extraction par voie chirurgicale est nécessaire lorsque la dent surnuméraire est dans l'alvéole.

Critères de traitement

Quatre critères principaux guident le traitement actif du retard d'éruption de dents permanentes. En premier lieu, si la non-éruption de l'incisive permanente chez l'enfant constitue le motif principal de la consultation, le traitement est habituellement indiqué. En effet, même si l'éruption spontanée de l'incisive permanente demeure possible, ce processus pourrait prendre jusqu'à un an, et ce délai peut paraître trop long aux parents et à l'enfant. Les enfants de cet âge sont souvent la cible de moqueries et d'intimidation de la part de leurs pairs. Il est donc important de considérer les demandes de traitement pour des motifs esthétiques et de tenir compte des grands avantages psychologiques du guidage orthodontique. Dans le cas présent, c'est un problème d'esthétique qui a incité la mère à consulter.

S'il y a au moins 3 mm d'os entre le bord incisif de la dent incluse et la cavité buccale, l'éruption spontanée pourrait prendre beaucoup plus de temps qu'à l'habitude et le traitement peut être indiqué.

Le retard d'éruption peut aussi favoriser le déplacement des dents adjacentes dans l'espace vide, ce qui peut nuire encore plus à l'éruption de la dent incluse. Dans le cas présent, la légère perte d'espace aurait empêché l'éruption spontanée.

Enfin, le stade de développement de la racine de l'incisive incluse aide à déterminer la pertinence du traitement. Si la dent incluse est arrivée à maturité ou si l'apex de la dent s'est fermé (ou est presque fermé, comme dans le cas présent), le potentiel d'éruption naturelle est perdu et un guidage orthodontique actif de la dent est nécessaire4.

Planification du traitement

Il est essentiel de poser un diagnostic exact et de bien planifier le traitement du retard d'éruption d'une dent permanente. S'il y a véritablement retard d'éruption (en ce qui concerne l'âge chronologique et l'âge dentaire), il est peu probable que la dent permanente fasse éruption sans intervention orthodontique. Lorsque l'apex de la dent incluse est fermé, la dent perd son potentiel d'éruption naturelle4. Aussi faudrait-il exposer la dent mature incluse, avec ou sans dispositif de fixation, au moment d'extraire la dent surnuméraire10 pour éviter une deuxième chirurgie autrement inévitable.

Un diagnostic précoce permet d'instaurer le traitement le plus approprié et réduit souvent la durée de la chirurgie et du traitement orthodontique, en plus de prévenir les complications9. Près des trois quarts des incisives immatures font éruption spontanément après l'extraction de la dent surnuméraire associée10. Cependant, dans 27 % des cas, l'extraction de la dent surnuméraire ne mène pas à l'éruption spontanée de l'incisive centrale supérieure permanente. En pareils cas, il faut procéder à l'exposition chirurgicale de la dent incluse, avec ou sans fixation d'un boîtier orthodontique ou d'un bouton de traction11, comme ce fut le cas ici. Si la dent incluse est dans une position favorable, la technique avec lambeau ouvert suivie de la technique d'éruption fermée peut être utilisée, car cette technique donne un résultat plus esthétique que l'exposition des dents antérieures supérieures avec élévation d'un lambeau positionné apicalement12. Cependant, si l'on a recours à une technique d'éruption fermée, il est important de fixer une chaînette en or ou une ligature métallique au boîtier ou au bouton sur la dent incluse durant l'exposition chirurgicale, afin que cette dent puisse être intégrée à l'appareil orthodontique partiel, même en position sous-gingivale.

Après l'extraction chirurgicale ou non chirurgicale de la dent surnuméraire, le premier stade du traitement orthodontique est amorcé, ainsi qu'il a été décrit précédemment (voir «Mécanique du traitement»). Lorsque le stade initial du traitement orthodontique est terminé et que l'espace dans l'arcade est suffisant, le traitement actif visant l'extrusion de l'incisive supérieure permanente incluse peut commencer. Après le guidage orthodontique de la dent à travers les tissus gingivaux, celle-ci peut être fixée à l'appareil orthodontique au moyen d'une chaînette élastique jusqu'à ce qu'elle atteigne sa position finale dans l'arcade dentaire, ainsi qu'il a été décrit dans l'article.

Durant le guidage orthodontique de la dent, il faut prendre soin de maximiser l'attache gingivale et veiller à ce que les contours gingivaux soient esthétiques et de hauteur uniforme. La perte prématurée d'une dent primaire ou un traumatisme antérieur peuvent causer une hypertrophie des tissus gingivaux qui recouvrent la dent permanente, et ceci peut retarder considérablement l'éruption. Par conséquent, durant la deuxième intervention chirurgicale, un tunnel est pratiqué dans l'os ou la muqueuse fibreuse, à l'intérieur du trajet de l'éruption guidée, pour éviter la ré-épithélialisation des tissus. La dent incluse est ensuite intégrée à l'appareil orthodontique partiel fixe déjà en place au moyen d'une chaînette élastique. Une légère force d'extrusion (de 10 à 20 g et au plus 30 g13) est appliquée pour guider l'incisive incluse en occlusion. Le ressort de poussée est placé sur le fil de l'appareil orthodontique, car il sert 2 fonctions. Ce ressort sert premièrement à maintenir l'espace qui a été créé afin de permettre à la dent incluse de prendre sa place dans l'arcade dentaire. Deuxièmement, il offre un point d'ancrage et oppose une résistance d'équilibre aux forces d'éruption qui sont appliquées sur l'incisive incluse. Ceci a un double effet : prévenir l'inclinaison des dents adjacentes et maintenir la position favorable de leurs racines (pour éviter de nuire à l'éruption des dents adjacentes).

La mécanique du traitement décrit dans cet article peut, avec certaines modifications, être appliquée au guidage d'autres dents permanentes incluses. À titre d'exemple, le guidage d'une prémolaire incluse peut se faire en utilisant seulement un appareil orthodontique segmentaire. Il est toutefois important de s'assurer que la dent guidée en occlusion n'est pas ankylosée.

Conclusions

Chez les patients qui ont un problème orthodontique localisé comme un retard d'éruption, un diagnostic précis et une bonne planification du traitement permettent au dentiste de pratiquer un traitement orthodontique fixe à un stade précoce, sans attendre l'éruption des dents permanentes.

LES AUTEURS

La Dre Shah est assistante à la recherche à la Faculté de médecine dentaire de l'Université de Toronto, Toronto, (Ontario).

Le Dr Kulkarni est professeur agrégé à la Faculté de médecine dentaire de l'Université de Toronto, Toronto, (Ontario).

Écrire au : Dr Gajanan Kulkarni, 124, rue Edward, Pièce 455D, Faculté de médecine dentaire, Université de Toronto, Toronto (Ontario) M5G 1G6. Courriel : g.kulkarni@dentistry.utoronto.ca

Les auteurs n'ont aucun intérêt financier déclaré.

Cet article a été révisé par des pairs.

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