Y a-t-il une «zone de sécurité» dans la région prémolaire inférieure où l'on peut éviter l'atteinte du nerf mentonnier?

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Les prémolaires inférieures sont situées près du trou mentonnier (ill. 1). Divers problèmes touchant ces dents, par exemple une infection odontogène1 ou un incident de nature orthodontique, endodontique, parodontale ou chirurgicale, peuvent donc entraîner une atteinte neurosensorielle du nerf mentonnier2-4. Dans le cadre d'une étude rétrospective, l'incidence de la paresthésie mentonnière consécutive à une infection ou à une pathologie périapicale a été de 0,96 %. Dans 0,24 % d'autres cas de la même étude, la paresthésie mentonnière a été une complication du traitement de canal (obturation excessive dans un cas et perforation iatrogène de la racine jusqu'au nerf mentonnier par les instruments dans le deuxième cas)1. Il est impossible d'estimer l'incidence de la paresthésie mentonnière due à des incidents d'ordre orthodontique, parodontal et chirurgical, mais on présume que ce taux est faible, car la plupart des cas signalés font l'objet d'études de cas distinctes.

En endodontie, l'élimination de l'infection pulpaire et dentinaire, suivie d'une préparation intracanalaire et d'un scellement adéquats, constituent les fondements du traitement de canal. L'idéal serait que la préparation mécanique et l'obturation se limitent au canal radiculaire, car un limage exagéré du canal au niveau apical ou l'extrusion des matériaux d'obturation chimiques au-delà du foramen apical jusqu'au nerf adjacent peut causer des troubles neurosensoriels tels que l'anesthésie, la paresthésie ou la dysesthésie5. Malheureusement, des cas d'extrusion endodontique de divers agents d'obturation ou d'irrigation continuent d'être rapportés malgré les récents progrès de l'endodontie.

Troubles neurosensoriels liés aux prémolaires

Les troubles neurosensoriels dus à des pathologies ou à des procédures dentaires comme celles précitées résultent de l'étroite proximité des prémolaires inférieures (en particulier les deuxièmes prémolaires) avec le trou mentonnier (ill. 2). Afin d'éviter ces problèmes durant une procédure dentaire, il est important que le dentiste détermine l'emplacement du trou mentonnier, par exemple par palpation ou à l'aide de radiographies. Il arrive toutefois que le trou mentonnier ne soit pas évident sur les radiographies périapicales de routine, s'il se situe sous le bord du film.


Ill. 1 : Tomodensitométrie tridimensionnelle illustrant la relation entre les prémolaires et le trou mentonnier.


Ill. 2 : Panorex montrant la relation entre le trou mentonnier et les prémolaires inférieures.




Ill. 3 : Panorex montrant les trous mentonniers bilatéraux au niveau de l'apex des deuxièmes prémolaires inférieures. L'aspect rappelle celui d'une lésion périapicale.

Le trou mentonnier peut se trouver n'importe où entre les première et deuxième prémolaires, et il arrive qu'il soit très près des prémolaires inférieures (ill. 3). À l'examen de radiographies, Fishel et ses collègues6 ont constaté que le trou mentonnier était situé à l'apex des premières et deuxièmes prémolaires, chez 15,4 % et 13,9 % des patients respectivement. Dans une autre étude réalisée dans mon institution, des chercheurs ont constaté que le trou mentonnier était situé à l'apex des deuxièmes prémolaires chez un peu plus du tiers des patients (données non publiées). De plus, la visibilité du trou mentonnier était sensiblement réduite chez les femmes et les patients âgés de 50 ans et plus (données non publiées).

Durant leur analyse morphométrique, Phillips et ses collègues7 ont constaté que la distance moyenne entre le trou mentonnier et l'apex radiographique de la deuxième prémolaire était de 2,18 mm en direction mésiale et de 2,4 mm en direction inférieure. De façon plus précise, chaque trou mentonnier était situé en moyenne à une distance de 3,8 mm en direction mésiale, de 2,7 mm en direction distale et de 3,4 mm au-dessus ou de 3,5 mm au-dessous de l'apex de la deuxième prémolaire. Cependant, dans diverses études sur des cadavres, la distance entre l'apex de la deuxième prémolaire et le trou mentonnier a varié de 0 à 4,7 mm1,8.

En raison de ces écarts dans l'emplacement du trou par rapport à l'apex, il ne semble pas y avoir de «zone de sécurité absolue» dans la région prémolaire, où il serait possible d'éviter d'atteindre le nerf mentonnier en cas d'extrusion accidentelle des limes et des matériaux endodontiques. Il convient par ailleurs de rappeler que les études et les mesures précitées font référence à des patients dont les maxillaires inférieurs étaient normaux (c.-à-d. sans conditions pathologiques). La présence d'une parodontite apicale causant une destruction osseuse ou d'une lésion radiculaire telle un kyste aurait pour effet d'éroder encore plus l'os qui protège le nerf mentonnier.

Répercussions cliniques

En situation clinique, si le siège apical n'est pas bien préparé ou si l'apex n'est pas complètement formé, il peut facilement y avoir extrusion d'une lime de petit diamètre ou du matériau d'irrigation ou d'obturation, au-delà de l'apex. Bien qu'il semble y avoir suffisamment d'espace autour des premières prémolaires pour compenser une telle erreur, car ces dents se trouvent habituellement plus loin du trou mentonnier, il ne faut pas oublier que jusqu'à 15,4 % des trous mentonniers se situent au niveau apical des premières prémolaires6. Chaque cas doit donc être évalué séparément. Si le dentiste soupçonne une étroite proximité entre ces structures, il est recommandé d'obtenir 2 radiographies rétroalvéolaires dans des angles différents (technique des parallaxes) pour déterminer la relation exacte entre les prémolaires et le trou mentonnier. De plus, avant de commencer tout traitement endodontique, il faudrait écarter la présence d'un faux canal et d'un gros kyste périradiculaire par des radiographies rétroalvéolaires. L'utilisation systématique d'un bon localisateur d'apex aidera également à éviter l'extrusion de la lime au-delà de l'apex.

Les dentistes ont l'obligation de protéger leurs patients contre les préjudices et ils peuvent s'acquitter de cette obligation en s'assurant de bien comprendre la proximité entre le trou mentonnier et les prémolaires avant d'entreprendre tout traitement dans cette partie de la bouche.

L'AUTEUR

Le Dr Wei Cheong Ngeow est professeur agrégé et chargé de cours au Département de chirurgie buccale et maxillofaciale, Faculté de médecine dentaire, Université de Malaya, à Kuala Lumpur, en Malaisie. Courriel : ngeowy@um.edu.my

L'auteur n'a aucun intérêt financier déclaré.

Cet article a été révisé par des pairs.

Références

  1. Knowles KI, Jergenson MA, Howard JH. Paresthesia associated with endodontic treatment of mandibular premolars. J Endod. 2003;29(11):768-70.
  2. Baxmann M. Mental paresthesia and orthodontic treatment. Angle Orthod. 2006;76(3):533-7.
  3. Scarano A, Di Carlo F, Quaranta A, Piattelli A. Injury of the inferior alveolar nerve after overfilling of the root canal with endodontic cement: a case report. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod. 2007;104(1):e56-9.
  4. Pogrel MA, Thamby S. The etiology of altered sensation in the inferior alveolar, lingual, and mental nerves as a result of dental treatment. J Calif Dent Assoc. 1999;27(7):531, 534-8.
  5. Pogrel MA. Damage to the inferior alveolar nerve as the result of root canal therapy. J Am Dent Assoc. 2007;138(1):65-9.
  6. Fishel D, Buchner A, Hershkowith A, Kaffe I. Roentgenologic study of the mental foramen. Oral Surg Oral Med Oral Pathol. 1976;41(5):682-6.
  7. Phillips JL, Weller RN, Kulild JC. The mental foramen: 2. Radiographic position in relation to the mandibular second premolar. J Endod. 1992;18(6):271-4.
  8. Denio D, Torabinejad M, Bakland LK. Anatomical relationship of the mandibular canal to its surrounding structures in mature mandibles. J Endod. 1992;18(4):161-5.