Intrusion sélective de premières molaires supérieures en supra-éruption à l’aide d’un dispositif d’ancrage temporaire

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Le non-remplacement immédiat d'une dent postérieure manquante peut entraîner une variété de problèmes. Ainsi, les dents adjacentes ont tendance à s'incliner et à pivoter, tandis qu'il peut y avoir supraéruption des dents antagonistes. Diverses options s'offrent pour restaurer l'occlusion, notamment un traitement de canal électif suivi d'une réduction importante de la dent, l'inclusion chirurgicale ou un traitement orthodontique avec ancrage extrabuccal ou ancrage intrabuccal utilisant l'arcade complète1-4. Malheureusement, ces traitements peuvent être gênants et ils ne sont pas toujours aussi efficaces qu'on le voudrait, car la perte d'ancrage est toujours possible. Pour éviter les traitements longs et imprévisibles, un grand nombre de praticiens en dentisterie restauratrice préfèrent pratiquer un traitement de canal électif suivi d'une réduction importante de la dent, afin de restaurer le plan d'occlusion. Aujourd'hui, toutefois, les nouvelles mini-vis en titane permettent aux orthodontistes d'utiliser des ancrages squelettiques pour pallier ces problèmes5-11.

L'ancrage squelettique consiste à insérer dans l'os des dispositifs d'ancrage orthodontique temporaires sous forme de mini-vis et à les utiliser comme ancrage absolu12,13. Divers implants peuvent être utilisés à cette fin, mais les plus répandus sont les dispositifs d'ancrage temporaires car ils sont relativement simples à insérer et leur mise en charge peut se faire presque immédiatement14. Ces dispositifs offrent aussi d'autres avantages : moins de limitations au site de l'implant, aucune observance d'un traitement par le patient et coût moins élevé que celui des autres types d'implants. Les dispositifs d'ancrage temporaire ont divers usages en orthodontie et sont notamment utilisés pour fermer un espace, traiter une béance dentaire et redresser des dents postérieures2-4,10,12,13,15.

Cette étude de cas décrit une procédure clinique peu invasive pour l'intrusion de 2 molaires supérieures réalisée avec 4 dispositifs d'ancrage orthodontique temporaires.

Étude de cas

Une femme de 44 ans a été dirigée vers le service de dentisterie restauratrice de l'Université King Abdulaziz (Djedda, Arabie saoudite), pour intrusion des molaires supérieures en vue de faciliter la restauration des premières molaires inférieures (ill. 1).

Les antécédents dentaires de la patiente incluaient la perte de la première molaire inférieure gauche, ce qui a entraîné la
supra-éruption de la première molaire supérieure antagoniste. La première molaire inférieure droite était aussi très endommagée et ceci a causé la supra-éruption de la première molaire supérieure droite. Outre la première molaire gauche, la deuxième molaire inférieure droite était également manquante. Enfin, un traitement de canal avait été pratiqué sur la deuxième prémolaire supérieure droite, mais le traitement n'avait pas réussi à rendre la dent restaurable; celle-ci devait donc être extraite (ill. 2).

Les analyses céphalométriques latérales ont révélé que la patiente présentait une relation squelettique de classe I avec profil acceptable (ill. 3; tableau 1). Les canines droite et gauche étaient en relation de classe I, avec surplomb vertical de 40 % et surplomb horizontal de 3 à 4 mm (ill. 4). Au moment de la consultation, il avait été prévu de réaliser une couronne complète pour restaurer la première molaire inférieure droite, et de remplacer la deuxième prémolaire supérieure droite et la première molaire inférieure droite par la mise en place d'implants endo-osseux et de couronnes.

Ill. 1 : Photographies intrabuccales initiales : a) occlusion montrant la première molaire droite en supra-éruption; b) vue frontale; c) occlusion montrant la première molaire gauche en supra-éruption; d) vue occlusale de l'arcade supérieure; e) vue occlusale de l'arcade inférieure.

Ill. 2 : Panorex montrant de multiples traitements endodontiques et plusieurs dents manquantes.

Ill. 3 : Cliché encéphalométrique de profil illustrant une relation squelettique de classe I avec profil acceptable.

Ill. 4 : Modèles d'étude avant le traitement : a) occlusion montrant le degré de supra-éruption de la première molaire droite; b) vue frontale; c) occlusion montrant le degré de supra-éruption de la première molaire gauche.


Tableau 1 Mesures céphalométriques de la patiente

aS = sella, N = nasion, A = point A, B = point B, U1 = incisive supérieure, L1 = incisive inférieure, U6 = première molaire supérieure, ANS = épine nasale antérieure, PNS = épine nasale postérieure.
bCalculé ainsi (ANS – Gn)/(N – Gn) × 100, Gn = Gnathion.

Plan de traitement et progrès

Pour faciliter la restauration des molaires inférieures droite et gauche, il a été décidé de procéder à l'intrusion des premières molaires supérieures droite et gauche à l'aide de 4 dispositifs d'ancrage orthodontique temporaires, en l'occurrence 4 dispositifs de 6 mm de longueur et 1,6 mm de diamètre avec une longue partie transgingivale (système OrthoEasy, Forestadent, Pforzheim, Allemagne). Deux dispositifs ont été placés entre les première et deuxième molaires supérieures droites du côté buccal, ainsi qu'en position mésiale par rapport à la première molaire supérieure du côté palatin. Les 2 autres ont été placés entre la première molaire et la deuxième prémolaire supérieures droites du côté buccal et entre la première molaire et la deuxième prémolaire du côté palatin. Ces positions ont été choisies pour faciliter le mouvement d'intrusion requis. Tous les dispositifs ont été mis en place par le même opérateur (K.H.Z.).

Environ 0,5 mL d'anesthésique local (xylocaïne 2 % avec épinéphrine 1:100 000) a été administré par infiltration avant la mise en place des dispositifs d'ancrage temporaires. Les boutons (Rocky Mountain Orthodontics Inc, Denver, CO) ont été fixés sur les faces buccale et palatine des premières molaires supérieures (ill. 5). Les dispositifs d'ancrage temporaires ont été immédiatement mis en charge par l'application d'une force d'intrusion de 100 g, exercée à l'aide d'une chaînette élastique fermée (Rocky Mountain Orthodontics Inc) qui a été activée toutes les 2 semaines. Trois mois plus tard, l'ancrage buccal supérieur gauche était partiellement recouvert d'une surcroissance de tissus mous; des ligatures métalliques de 0,012 po ont alors été introduites dans le dispositif d'ancrage et ont été repliées de manière à former un crochet auquel la chaînette élastique a pu être fixée (ill. 5b).

Ill. 5 : Photographies intrabuccales montrant les mini-vis palatines et buccales utilisées pour l'intrusion des premières molaires droite et gauche : a) intrusion de la première molaire droite à l'aide d'un dispositif d'ancrage temporaire et d'une force appliquée par une chaînette reliée à un bouton collé sur la face buccale de la dent; b) dispositif d'ancrage temporaire gauche avec chaînette reliée aux boutons collés sur la face palatine de la molaire; ligatures métalliques de 0,012 engagées dans le dispositif et repliées pour former un crochet auquel la chaînette peut être fixée; c) vue des dispositifs d'ancrage temporaires gauche et droit avec chaînette reliée aux boutons collés sur les faces palatines des 2 molaires.


Ill. 6 : Photographies intrabuccales finales : a) occlusion montrant le fil de rétention fixe entre les première et deuxième molaires droites; b) vue frontale montrant les couronnes temporaires mises en place; c) occlusion montrant le fil de rétention fixe entre les première et deuxième molaires gauches; d) vue occlusale de l'arcade supérieure; e) vue occlusale de l'arcade inférieure.


Ill. 7 : Modèles d'étude finals : a) occlusion montrant le degré d'intrusion obtenu sur la première molaire droite; b) vue frontale; c) occlusion montrant le degré d'intrusion obtenu sur la première molaire gauche.

Ill. 8 : Panorex après le traitement.

Ill. 9 : Cliché encéphalométrique après le traitement.

Ill. 10 : Superposition montrant une intrusion de 4 mm des molaires.

Au terme d'un traitement orthodontique de 6 mois réalisé avec les 4 dispositifs d'ancrage orthodontique temporaires supérieurs, une occlusion fonctionnelle a été obtenue sur les dents postérieures droites et gauches, grâce à l'intrusion de 4 mm des premières molaires supérieures (ill. 6, tableau 1); ceci a créé un espace suffisant pour restaurer les espaces édentés antagonistes (ill. 7 et 8). Pour assurer une rétention, un fil en acier inoxydable de 0,018 po a été fixé sur la face buccale des dents en intrusion et étendu jusqu'aux deuxièmes molaires des 2 côtés (ill. 6a et 6c).

Discussion

L'intrusion orthodontique réussie chez cette patiente n'aurait pu être réalisée sans l'utilisation de dispositifs d'ancrage temporaires servant d'ancrage absolu. L'utilisation de ces appareils a également permis d'éviter les effets potentiellement néfastes des traitements orthodontiques classiques, comme l'extrusion des dents adjacentes.

La force optimale à appliquer pour imprimer un mouvement d'intrusion ne fait pas consensus dans la littérature. Certains auteurs suggèrent l'application d'une force de 15 à 50 g16-18, tandis que d'autres recommandent des forces plus élevées (150 à 500 g)10,19,20. Pour leur part, Andreasen et Bishara21 proposent d'appliquer une force de 40 % supérieure à la force optimale au moment d'installer l'élastique, afin de compenser la perte de force initiale. Dans le cas présent, les cliniciens ont donc utilisé une force initiale de 100 g, sachant que 40 % de cette force serait perdue durant les 24 premières heures. La chaînette a été activée 2 fois par mois pour maintenir l'application constante d'une force.

Un certain nombre de cliniciens utilisent une technique d'intrusion qui consiste à exercer une traction sur la chaînette reliant deux dispositifs d'ancrage temporaires, à travers le plan d'occlusion. Cette méthode a toutefois plusieurs inconvénients, qui ont trait notamment au risque de rupture et de glissement de la chaînette sur la face occlusale et au manque de contrôle pour bien diriger les forces à travers le centre de résistance. Dans le cas présent, les chaînettes ont plutôt été placées de manière à relier chaque dispositif d'ancrage temporaire aux boutons collés, de manière à contrôler la force d'intrusion. Un autre avantage de cette méthode tient au fait que seules les dents extrudées sont fixées par des attaches. La position des boutons collés est également importante pour diriger les forces à travers le centre de résistance et obtenir les mouvements de translation requis. Comme l'examen radiographique avait révélé que la qualité de l'os en aval de la première molaire était insuffisante du côté supérieur gauche, le dispositif d'ancrage temporaire a été placé en position mésiale par rapport à la première molaire. La mise en place des 2 dispositifs en position mésiale aurait entraîné une intrusion inégale de la première molaire (c.-à-d. déplacement trop mésial). Les boutons ont donc été collés sur la portion distale de la face palatine pour aider à diriger la force par le centre de résistance de la dent.

Bien que les dispositifs d'ancrage temporaires offrent des avantages appréciables, leur mise en place est fortement tributaire de la technique utilisée et comporte aussi certains risques. Parmi les complications possibles, mentionnons des lésions radiculaires, la perte de la vitalité pulpaire, l'ostéosclérose et l'ankylose dento-alvéolaire22,23. À cela s'ajoute le risque d'atteinte nerveuse durant la mise en place dans l'inclinaison maxillopalatine où se trouve le trou palatin principal24,25.

La superposition céphalométrique, enregistrée dans le plan palatin (entre les épines nasales antérieure et postérieure) et utilisée pour comparer les clichés encéphalométriques initial et final, montre qu'il y a eu intrusion de 4 mm des premières molaires en 6 mois (ill. 9 et 10, tableau 1).

Conclusions

Ce cas montre qu'il est possible d'obtenir une intrusion substantielle et bien contrôlée des molaires supérieures, uniquement avec des dispositifs d'ancrage temporaires et sans appareils orthodontiques fixes, pour créer un espace libre vertical suffisant pour les restaurations. Ces appareils permettent d'appliquer des forces bien contrôlées (quant à leur orientation et à leur ampleur) et d'obtenir ainsi une intrusion orthodontique réussie des molaires.

LES AUTEURS

 

Dr Al-Fraidi est résident de cycle supérieur en orthodontie au ministère de la santé à Madina, en Arabie saoudite.

 

Dr Zawawi est professeur adjoint et chef du département d'orthodontie à la faculté de médecine dentaire à l'Université King Abdulaziz, en Arabie saoudite.

Écrire au : Dr Khalid H. Zawawi, Département d'orthodontie, Faculté de médecine dentaire, Université King Abdulaziz, C.P. 80209, Jeddah 21589, Arabie saoudite. Courriel : kzawawi@kau.edu.sa

Remerciements : Les auteurs aimeraient remercier une figure emblématique du domaine de l'orthodontie, le regretté professeur Anthony A. Gianelly.

Les auteurs n'ont aucun intérêt financier déclaré dans la ou les sociétés qui fabriquent les produits mentionnés dans cet article.

Cet article a été révisé par des pairs.

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Correction

La référence numéro 5 n'était pas comprise dans la liste de références lorsque cet article a été publié pour la première fois dans le JADC (Vol. 76, No 1). Cette référence a été ajoutée à la version en ligne. Le JADC regrette cette erreur.