Le traitement implantaire et l’actinomycose apicale : Une étude de cas

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Sommaire

Bien que le traitement de l'actinomycose périapicale prévoie l'extraction de la dent atteinte, les indications quant au bien-fondé du traitement implantaire et au choix du moment pour un tel traitement demeurent imprécises. Dans cette étude de cas, nous décrivons le traitement de l'actinomycose apicale chez une femme de 63 ans après l'extraction de la dent. Le traitement par implant a été pratiqué après un suivi de 6 mois et était toujours un succès après un an.


Introduction

Le taux de succès à long terme des implants ostéointégrés est élevé lorsque ceux-ci sont utilisés pour la réhabilitation de patients entièrement ou partiellement édentés ou pour le remplacement d'une dent unique1-3. Le succès de l'ostéointégration dépend principalement de la qualité du lit osseux qui reçoit l'implant, de la quantité d'os et de son potentiel de guérison. Bien que les dents ayant des antécédents d'infection périapicale puissent être considérées pour la mise en place d'implants intra-osseux, la controverse persiste quant à savoir si l'implantation devrait être retardée, plusieurs auteurs déconseillant la mise en place immédiate d'implants en présence d'une pathologie périapicale ou parodontale4-6.

L'actinomycose est une infection granulomateuse chronique qui se caractérise par une suppuration et la formation d'abcès et de trajets fistuleux. Les manifestations cliniques et radiologiques de l'actinomycose apicale sont habituellement impossibles à distinguer de celles de la parodontite apicale commune7. L'infection actinomycosique se propage lentement aux tissus adjacents sans égard aux plans des tissus8. Bien que le traitement endodontique non chirurgical soit efficace dans la plupart des cas, il y a parfois absence de guérison même après l'extraction de la dent.

Le facteur le plus souvent associé à la non-guérison est la présence de souches d'Actinomyces9. Ainsi, Sakellariou10 fait mention de 47 cas où la non-guérison périradiculaire après un traitement endodontique a été associée à la présence de souches d'Actinomyces, A. israelii étant l'espèce la plus souvent présente dans les cas d'infections périapicales. Le genre Actinomyces est constitué d'espèces de bactéries Gram positif, polymorphes ou filamenteuses, non sporulées et anaérobies ou micro-aérophiles.

Les autres méthodes thérapeutiques incluent le curetage chirurgical associé à une antibiothérapie à court terme – un traitement dont l'issue a été jugée favorable11.

Pour autant que nous le sachions, la présente étude de cas est la première à décrire le traitement par implant dans un site où une actinomycose périapicale avait récemment été observée.

Étude de cas

Une femme de 63 ans a été dirigée vers la clinique de parodontologie du programme d'études supérieures de la faculté de médecine dentaire de l'Université du Manitoba, à Winnipeg (Manitoba), en raison principalement d'une douleur épisodique modérée dans la région de la dent 44. Ses antécédents médicaux faisaient mention d'une allergie aux sulfamides.

Ill. 1 : Radiographie montrant une radioclareté périapicale associée à la dent 44 et de la gutta-percha sortant du foramen apical.

La fiche parodontale de la patiente indiquait une hygiène buccodentaire satisfaisante (indice de plaque modifié d'O'Leary12 = 8 %). À l'examen, l'état parodontal des dents encore présentes dans les sextants inférieurs semblait bon. La patiente avait une prothèse supérieure complète. Une radiographie panoramique a révélé une obturation excessive du canal radiculaire à l'apex de la dent 44 (ill. 1). Le diagnostic différentiel incluait un abcès périapical, un kyste périapical et un granulome.

La dent a été extraite. Au moment du suivi après 6 mois, la radiographie rétroalvéolaire et la tomodensitométrie à faisceau conique subséquente ont révélé la présence d'une lésion radioclaire dans la zone de guérison. Une chirurgie exploratrice a été prévue pour le prélèvement de tissus pour analyse histopathologique et le débridement de la région. Un lambeau pleine épaisseur a été élevé et une ostéotomie a été pratiquée avec une fraise-trépan pour exposer les tissus morbides.

Au moment du retrait de la corticale buccale, on a découvert une lésion osseuse de laquelle un agrégat blanc jaunâtre (dont l'aspect rappelait celui du fromage cottage) a été retiré pour analyse histologique (ill. 2). La corticale linguale était intacte. Un prélèvement biopsique a été obtenu de la zone périapicale non guérie (4 mm sous la crête alvéolaire) et de l'os adjacent qui semblait sain. Immédiatement après le prélèvement, l'échantillon a été plongé dans du formol neutre tamponné à 10 % et a été envoyé au laboratoire de pathologie. Le reste de la zone atteinte a été complètement débridé et irrigué avec du sérum physiologique. Le lambeau a été rapproché et suturé avec du fil en polytétrafluoroéthylène expansé 5-0 (Gortex, Gore, Flagstaff, AZ).

Lorsque la patiente est retournée chez elle, on lui a recommandé d'utiliser un rince-bouche à base de gluconate de chlorhexidine à 0,12 % (Peridex, 3M ESPE, West  Palm Beach, FL), et de l'amoxicilline (500 mg, 3 fois par jour pendant 7 jours) lui a été prescrite. Les sutures ont été enlevées 10 jours plus tard.

La guérison s'est déroulée sans problème, la patiente ne signalant qu'un léger inconfort et une faible tuméfaction autour du site opératoire. L'examen histologique a révélé la présence de fragments de tissus conjonctifs fibreux et fibrovasculaires qui contenaient des infiltrats modérés à denses de cellules inflammatoires mixtes et chroniques (ill. 3). Les colonies bactériennes contenaient des filaments en forme de massues entourés de neutrophiles. Des taches d'os vivant, des amas de macrophages spumeux, des fragments de matières étrangères compatibles avec l'obturation canalaire, un fragment d'une substance étrangère polarisable d'origine inconnue et des produits de saignement étaient également présents. Un diagnostic pathologique de lésion contenant des colonies bactériennes compatibles avec Actinomyces a été posé.

Sur la base de l'analyse histologique, il a été conseillé à la patiente de poursuivre la prise d'amoxicilline (500 mg) pendant 4 autres semaines. La patiente a fait l'objet d'un suivi hebdomadaire durant le premier mois, puis d'un suivi mensuel. Aucun signe ou symptôme clinique n'a été observé durant la période de suivi (ill. 4). Après 4 mois, une radiographie rétroalvéolaire n'a révélé aucune manifestation particulière. Après une évaluation prothétique, la mise en place d'un implant dans la région de la dent 44 a été envisagée. On a obtenu le consentement éclairé de la patiente, à qui l'on a recommandé de prendre 2 g d'amoxicilline une heure avant le rendez-vous comme antibiothérapie prophylactique avant la chirurgie implantaire13.

Ill. 2 : Agrégat blanc jaunâtre (d'une texture comparable à celle du fromage cottage) à l'intérieur de la lésion osseuse.

Ill. 3 : Coloration de Gram montrant une abondance d'agrégats filamenteux de bactéries Gram positif, caractéristiques d'Actinomyces.

Ill. 4 : Photographie prise 4 semaines après la chirurgie exploratrice, ne montrant aucun signe ou symptôme clinique d'infection.



Un lambeau pleine épaisseur a été élevé jusqu'à ce que la portion apicale de la crête alvéolaire devienne visible au niveau des plaques buccale et linguale (ill. 5). Un implant à base étroite de 3,5 mm de diamètre et de 10 mm de longueur (Replace Select Tapered, Nobel Biocare, Göteborg, Suède) a été mis en place à la position de la dent 44 (ill. 6). La stabilité de l'implant a été confirmée par un essai de torsion au moment de l'insertion (> 35 Ncm), et un pilier de guérison a été inséré immédiatement après la mise en place de l'implant (ill. 7). La zone péri-implantaire a été examinée 1, 2 et 4 semaines, puis 3, 6, 12 et 18 mois, après la chirurgie. La patiente n'a signalé aucune complication, ni aucune infection, douleur, hémorragie ou tuméfaction. La muqueuse péri-implantaire paraissait saine et avait une couleur rose normale. Dix-huit mois après la chirurgie (14 mois après la restauration par implant), la perte d'os crestal était inférieure à 2 mm, la mesure au sondage était de 3 mm et il n'y avait aucune mobilité de l'implant. La récession était inférieure à 1 mm et les radiographies montraient clairement la diminution de la radioclareté dans la zone intra-osseuse du déficit osseux péri-implantaire (ill. 8). Enfin, la couronne répondait aux attentes de la patiente, quant à sa forme, à ses dimensions et à sa teinte.

Ill. 5 : L'examen de l'os alvéolaire n'a révélé aucun signe visible de pathologie osseuse sur la plaque buccale ou linguale.

Ill. 6 : Radiographie rétroalvéolaire prise immédiatement après la mise en place d'un implant de 3,5 mm de diamètre dans la zone préalablement infectée.

 

Ill. 7 : Photographie clinique du site chirurgical, 4 semaines après la mise en place de l'implant avec un pilier de guérison évasé.

Ill. 8 : Radiographie rétroalvéolaire prise 18 mois après la mise en place de l'implant. On remarque que la radioclareté radiculaire a fortement diminué durant le cours du traitement.

 


Discussion

Les manifestations cliniques et radiologiques de l'actinomycose apicale sont habituellement impossibles à distinguer de celles des pathologies périapicales courantes7. L'actinomycose périapicale devrait être incluse dans le diagnostic différentiel dans les cas où le traitement endodontique approprié ne réussit pas à traiter une lésion périapicale. Il a été démontré qu'Actinomyces empêche la guérison périradiculaire normale après un traitement endodontique classique, même après l'extraction de la dent, car les bactéries peuvent survivre dans les tissus périapicaux, à l'extérieur des canaux radiculaires14-16. En pareils cas, un traitement chirurgical et une antibiothérapie à long terme peuvent s'avérer nécessaires pour favoriser la guérison.

Selon certains rapports cliniques, des antécédents d'infection parodontale ou endodontique constituent un marqueur prédictif de l'infection et de l'échec de l'implant17-20. Bien que plusieurs études21-23 appuient la mise en place immédiate d'un implant dans un site infecté, cette pratique exige un débridement complet ainsi que la stabilité primaire de l'implant pour favoriser l'ostéointégration et la survie subséquente de l'implant. D'autres essais cliniques contrôlés à long terme devront être menés pour mieux étudier cette démarche.

La prise en charge adéquate de sites préalablement infectés, considérés pour la mise en place d'un implant, nécessite le diagnostic précoce de l'infection et l'administration des médicaments appropriés. Il est également d'une importance capitale d'obtenir la pleine collaboration du patient en ce qui a trait au respect des visites régulières, à l'observation de la pharmacothérapie et à la patience que requièrent la prise en charge à long terme de la maladie, le traitement implantaire et le suivi.

Dans cet article, nous décrivons le tableau clinique d'une inflammation périapicale chronique qui, à l'examen histologique, a révélé la présence de colonies d'Actinomyces. Le traitement réussi de l'actinomycose nous a permis de proposer à la patiente un traitement implantaire dans la zone atteinte. La patiente a été suivie pendant 18 mois après la mise en place d'un implant dans une zone préalablement infectée, et nous avons l'intention de suivre le cas encore plus longtemps pour nous assurer du succès du traitement.

LES AUTEURS

Le Dr Angaji est un parodontiste qui exerce à Winnipeg, au Manitoba. Il était résident inscrit au programme d'études supérieures en parodontologie de la faculté de médecine dentaire de l'Université du Manitoba au moment de la rédaction de cet article.

Dr. Brar est un parodontiste qui exerce à Winnipeg, au Manitoba. Il était résident inscrit au programme d'études supérieures en parodontologie de la faculté de médecine dentaire de l'Université du Manitoba au moment de la rédaction de cet article.

Remerciements : Nous remercions le Dr Stephen Ahing, chef de la division de diagnostic buccal et de radiologie, faculté de médecine dentaire, Université du Manitoba, pour ses précieux commentaires.

Écrire au : Dr Mahdi Angaji, 11, place Petersfield, Winnipeg (Manitoba)  R3T 3V5. Courriel : Angaji@Perio.org

Les auteurs n'ont aucun intérêt financier déclaré dans la ou les sociétés qui fabriquent les produits mentionnés dans cet article.

Cet article a fait l'objet d'une révision par des pairs.

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