Maladie de Horton avec perte bilatérale de vision et douleur dans la mâchoire : Rappel d’une maladie qui peut avoir des conséquences dévastatrices

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SOMMAIRE

La maladie de Horton (artérite temporale) a été diagnostiquée chez une femme venue consulter son médecin à cause d'une perte bilatérale de la vision réfractaire à une corticothérapie intraveineuse. Avant la perte de vision, la patiente avait présenté d'autres symptômes compatibles avec ce diagnostic, notamment une douleur importante à la mâchoire et une arthralgie. Dans cet article, les auteurs discutent des divers symptômes de la maladie de Horton et des particularités pouvant aider à distinguer la douleur à la mâchoire associée à cette maladie et celle due à une pathologie de l'articulation temporomandibulaire. Une meilleure connaissance de la maladie de Horton devrait favoriser un diagnostic et un traitement plus précoces et permettre d'éviter les conséquences dévastatrices de cette maladie.


Introduction

La maladie de Horton (artérite temporale) est la vascularite primitive des adultes la plus répandue en Occident1. L'incidence mondiale de cette maladie varie de 1 à 29 pour 100 000 personnes âgées de 50 ans et plus, ce qui se compare aux taux d'incidence ajustés selon l'âge des cancers de la bouche2. La maladie de Horton se manifeste presque exclusivement chez les personnes de plus de 50 ans; elle est en outre plus fréquente chez les femmes que les hommes (rapport de 3 pour 1) et chez les personnes d'origine scandinave3. Les manifestations cliniques de cette maladie sont variées et les patients qui en sont atteints peuvent consulter divers spécialistes, notamment des rhumatologues, des neurologues, des cardiologues, des ophtalmologistes et des dentistes. Cette maladie tend à toucher des artères de tailles moyenne et grande, et la diversité des symptômes reflète la vaste distribution de la vascularite. Il y a souvent atteinte des segments extracrânien et intracrânien de l'artère carotide, ce qui explique les symptômes craniofaciaux, buccaux et oculaires qui y sont associés. Des manifestations graves et menaçant le pronostic vital, comme la perte permanente de la vision et l'accident vasculaire cérébral, sont également relativement fréquentes4-6.

La maladie de Horton peut être un diagnostic difficile à poser à cause de la diversité des manifestations. Cependant, le risque de conséquences dévastatrices devrait inciter les fournisseurs de soins à inclure cette maladie parmi les diagnostics possibles. Cet article décrit le cas d'une femme dont la claudication de la mâchoire a été attribuée à tort à un problème de l'articulation temporomandibulaire (ATM). La patiente a par la suite présenté une perte bilatérale de la vision réfractaire au traitement, qui a fini par mener au bon diagnostic.

Étude de cas

Une femme de 81 ans s'est présentée au service d'urgence en raison d'une importante baisse perceptible de la vision dans l'œil droit. La patiente a déclaré n'avoir ni maux de tête ni hyperesthésie du cuir chevelu. Elle avait consulté son dentiste deux semaines avant à cause d'une importante douleur à la mâchoire qui l'avait amenée à ne consommer que des aliments mous et en purée. Aucune cause précise ne pouvant alors expliquer la douleur à la mâchoire, celle-ci a été attribuée à l'ATM. Durant les mois précédents, la patiente avait été victime d'une poussée d'arthrose pour laquelle une faible dose de prednisone par voie orale lui avait été prescrite. Durant la présente visite, la patiente a été examinée par l'ophtalmologiste de garde. Elle n'avait aucune perception de la lumière dans l'œil droit et une acuité de 20/20 dans l'œil gauche. Un défaut pupillaire afférent était présent du côté droit. Sous l'effet de la lumière, les champs visuels étaient totalement dilatés à droite mais fortement contractés du côté gauche. L'examen du fond de l'œil a révélé la présence de nerfs pâles et en relief, avec une tortuosité des vaisseaux dans les deux yeux. Les marqueurs inflammatoires ont été mesurés à l'arrivée de la patiente : la vitesse de sédimentation globulaire (93 mm/h) et le dosage de la protéine C-réactive (24 mg/L) étaient tous deux élevés. Dans notre établissement, la fourchette normale de la vitesse de sédimentation globulaire est de 5 à 33 mm/h; cependant, la limite supérieure de la normale varie selon l'âge et peut être estimée comme suit : âge divisé par 2 (hommes) ou (âge + 10) divisé par 2 (femmes). La protéine C-réactive est habituellement indécelable dans le sang et toute valeur supérieure à 3 mg/L est considérée comme élevée. La patiente a été hospitalisée avec un diagnostic de maladie de Horton. Un traitement consistant en l'administration de fortes doses de méthylprednisolone par voie intraveineuse a été instauré (250 mg, 4 fois par jour).

Le lendemain, l'acuité visuelle avait considérablement diminué dans les deux yeux. La patiente était incapable de percevoir la lumière dans l'œil droit, lequel ne percevait que les mouvements de la main. Une biopsie de l'artère temporale a confirmé le diagnostic de la maladie de Horton (ill. 1). La vision de la patiente a continué de baisser dans l'œil gauche, malgré la stéroïdothérapie. Au moment de quitter l'hôpital, la patiente avait perdu toute sensibilité à la lumière dans les deux yeux, mais sa douleur à la mâchoire avait considérablement diminué. Après l'administration de méthylprednisolone pendant 3 jours, le traitement a été modifié et remplacé par une dose d'entretien de prednisone par voie orale, dose qui a été réduite progressivement. La patiente et son mari ont ensuite déménagé dans une résidence avec services.

Ill. 1 : Examen du prélèvement biopsique de l'artère temporale illustrant les manifestations histopathologiques de la maladie de Horton. Le faible grossissement (×100; à gauche) montre l'infiltration cellulaire de la paroi vasculaire et l'important rétrécissement de la lumière. L'examen à plus forte puissance (×400; au centre) révèle les lymphocytes et cellules géantes multinucléées caractéristiques qui contribuent à la réaction inflammatoire. La coloration de Verhoeff-van Gieson des tissus élastiques montre l'altération de la lame élastique interne de la paroi vasculaire (×100; à droite).


Discussion

Le diagnostic de la maladie de Horton est basé sur les critères cliniques définis par le Collège américain de rhumatologie7 (encadré 1). La présence de 3 de ces 5 manifestations permet de poser un diagnostic de maladie de Horton avec une sensibilité de 93,5 % et une spécificité de 91,2 %8. Dans le cas présent, l'âge de la patiente à l'apparition des symptômes, la vitesse de sédimentation globulaire élevée et les anomalies décelées à la biopsie de l'artère temporale ont confirmé le diagnostic. À son arrivée, la patiente n'avait pas de maux de tête et aucune anomalie importante de l'artère temporale n'a été décelée à la palpation; cependant, sa vision avait considérablement diminué.

Nous avons fait un recensement des articles publiés entre le 1er janvier 2005 et le 1er janvier 2010 et pris en note les manifestations initiales de cette maladie. Dans 81 études portant au total sur 390 patients, des symptômes visuels ont été déclarés dans 28,5 % des cas (tableau 1). Chez les patients de plus de 50 ans, la maladie de Horton devrait être incluse dans le diagnostic différentiel de divers symptômes oculaires, notamment la baisse de l'acuité visuelle par éclipses, la diplopie, la perte de champ visuel monoculaire et une baisse profonde de la vision6. La perte de vision associée à la maladie de Horton est souvent irréversible, et le traitement par de fortes doses de stéroïdes vise à réduire au minimum la progression de la perte de vision et à prévenir la perte de vision controlatérale9,10. Dans le cadre d'une large étude rétrospective, 14 % des patients atteints de la maladie de Horton confirmée par biopsie ont présenté une perte permanente de la vision11. Chez les patients dont la maladie de Horton n'a pas été traitée, de 25 à 50 % ont subi une perte de la vision controlatérale après une à deux semaines11. Cependant, après l'instauration d'une stéroïdothérapie, le risque de perte progressive de la vision a été réduit à 1 % chez les patients qui n'avaient pas de symptômes visuels et à 13 % chez ceux qui présentaient déjà une perte de vision11. Ces observations montrent qu'un diagnostic et un traitement précoces de la maladie de Horton peuvent prévenir une perte permanente de la vision.

Encadré 1 Critères diagnostiques de la maladie de Hortona selon la définition du Collège américain de rhumatologieb

  • Âge d'apparition de la maladie > 50

  • Céphalées localisées (d'apparition nouvelle ou d'un type différent)

  • Anomalie de l'artère temporale, en particulier sensibilité à la palpation ou pulsation réduite, non liée à une artériosclérose des artères cervicales

  • Vitesse de sédimentation globulaire > 50

  • Résultats anormaux de la biopsie de l'artère temporale : artère présentant une vascularite caractérisée par une infiltration importante de cellules mononuclées ou une inflammation granulomateuse, habituellement avec des cellules géantes multinucléées

aLa présence de 3 de ces 5 caractéristiques permet de poser un diagnostic de la maladie de Horton avec un degré de sensibilité et de spécificité élevé.
bAdapté avec l'aimable autorisation de Wiley7.


Tableau 1 Fréquence des symptômes de la maladie de Horton dans les 390 cas recensés dans 81 études

Manifestations initiales Nbre (%) de cas
Maux de tête 230 (59,0)
Douleur ou claudication de la mâchoire 122 (31,3)
Symptômes visuels 111 (28,5)
Douleur ou nécrose du cuir chevelu 89 (22,8)
Symptômes buccaux 28 (7,2)
Symptômes systémiques 173 (44,4)


Dans le cas présenté ici, la perte de vision a été précédée de symptômes compatibles avec le diagnostic de la maladie de Horton. La patiente a d'abord ressenti une douleur à la mâchoire suffisamment grave pour l'inciter à modifier son alimentation. Bien qu'une variété de symptômes de la maladie de Horton puissent inciter le patient à consulter un dentiste, notamment des douleurs à la mâchoire, le trismus, la dysphagie, la glossodynie et les ulcères de la langue11, des douleurs à la mâchoire ont été observées dans 31,3 % des cas recensés durant notre recherche, comme l'indique le tableau qui précède (tableau 1).

Il est important d'établir une distinction entre la claudication de la mâchoire associée à la maladie de Horton et la douleur due à l'ATM (tableau 2). À titre d'exemple, la douleur à la mâchoire associée à l'ATM apparaît dès les premiers mouvements de la mâchoire, alors que la douleur se manifeste après quelques minutes de mastication dans la maladie de Horton8. Cette différence reflète la différence dans le mécanisme de la douleur : la douleur de l'ATM résulte d'un problème mécanique, tandis que la douleur associée à la maladie de Horton résulte d'une occlusion vasculaire et d'une ischémie du muscle masséter. De plus, la maladie de Horton se manifeste habituellement chez les patients de plus de 50 ans, tandis que les problèmes temporomandibulaires touchent davantage les personnes de 25 à 44 ans et ne s'accompagnent pas de maux de tête ou de symptômes généraux12.


Tableau 2 Comparaison entre les manifestations cliniques de la douleur à la mâchoire associée aux pathologies de l'articulation temporomandibulaire et à la maladie de Horton

Pathologie de l'articulation temporomandibulaire Maladie de Horton
  • Douleur sourde unilatérale ou bilatérale

  • Douleur localisée dans la région de la mâchoire, du cou, des oreilles et des tempes

  • Apparition immédiate de la douleur aux premiers mouvements de la mâchoire

  • Âge de 25 à 44

  • Sensibilité et spasmes des muscles de la mastication et limitation possible des mouvements de la mâchoire

  • Réponse à la chaleur, aux massages, aux salicylates, aux relaxants musculaires et aux attelles occlusales
  • Claudication de la mâchoire

  • Apparition de la douleur à la mâchoire quelques minutes après la mastication; la douleur disparaît au repos

  • Âge > 50 ans

  • Le patient évite souvent les aliments qu'il faut mastiquer

  • Peut être associée à un œdème ipsilatéral de la figure, de la langue et de la muqueuse buccale et (rarement) à une nécrose de la langue

  • Autres manifestations : maux de tête, hyperesthésie du cuir chevelu et symptômes systémiques (p. ex., fièvre, anorexie, perte de poids)


Une évaluation précise de la douleur à la mâchoire associée à la maladie de Horton peut mener à un diagnostic rapide. La claudication de la mâchoire est le symptôme de la maladie de Horton le plus souvent associé à un résultat positif de la biopsie de l'artère temporale : la claudication de la mâchoire a donc un haut degré de sensibilité diagnostique8. La douleur à la mâchoire a aussi été liée à un risque accru de perte permanente de la vision9. De même, la présence de trismus – une rare manifestation de la maladie de Horton – peut indiquer une maladie plus agressive13. Outre la douleur à la mâchoire ayant précédé la perte de vision, la patiente dans le cas présent avait des antécédents d'exacerbation d'arthralgie soulagée par la prise de prednisone par voie orale. Ces symptômes pourraient avoir été associés à une poussée de son arthrose ou à une pseudopolyarthrite rhyzomélique, une forme d'arthrite des grandes articulations proximales (cou, épaule et hanche) qui est souvent associée à la maladie de Horton14. Quel que soit le cas, le traitement systémique à la prednisone a sans doute eu des effets bénéfiques sur la maladie de Horton sous-jacente.

Ce cas souligne l'importance de tenir compte du diagnostic de la maladie de Horton. La littérature fait mention d'autres cas de douleur à la mâchoire attribuée à tort à un problème temporomandibulaire alors qu'il s'agissait de la maladie de Horton12,15. Cependant, contrairement au cas présenté ici, il n'y a pas eu de perte permanente de la vision chez ces autres patients. Non traitée, la maladie de Horton peut avoir des conséquences dévastatrices. Un diagnostic précoce est essentiel pour prévenir ces conséquences évitables4-6,16,17.

LES AUTEURS

La Dre Sheldon est résidente de cinquième année en ophtalmologie, département d'ophtalmologie et des sciences visuelles, Hôpital général de Vancouver et Université de la Colombie-Britannique, Vancouver (Colombie-Britannique).

La Dre White est professeure aux départements d'ophtalmologie et des sciences visuelles et de pathologie, Hôpital général de Vancouver et Université de la Colombie-Britannique, Vancouver (Colombie-Britannique).

Le Dr Holland est professeur clinicien au département d'ophtalmologie et des sciences visuelles, Hôpital général de Vancouver et Université de la Colombie-Britannique, Vancouver (Colombie-Britannique).

Écrire à la : Dre Claire A. Sheldon, Centre des soins visuels, Hôpital général de Vancouver, 2550, rue Willow, Vancouver (Colombie-Britannique)  V5Z 3N9. Courriel: claires@interchange.ubc.ca

Les auteurs n'ont aucun intérêt financier déclaré.

Cet article a été révisé par des pairs.

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