L’épigénétique : de nouvelles explications à de vieux problèmes?

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Pleins feux sur la surveillance : concepts actuels sur le lien santé buccodentaire-santé systémique

En janvier 2008, la Faculté de médecine dentaire de l'Université du Manitoba a inauguré son Centre international de santé buccodentaire-santé systémique. Le Centre est fier de s'associer au JADC pour présenter des résumés des plus récents articles et des plus récentes découvertes dans le domaine de la santé buccodentaire et santé systémique qui pourraient avoir une incidence sur l'exercice de la dentisterie moderne.

J'ai traité dans des articles précédents de l'importance de considérer le rôle des biofilms buccaux et de la charge inflammatoire systémique au moment d'étudier le lien entre les maladies parodontales et les maladies ou affections inflammatoires chroniques1,2. L'évolution de nos connaissances scientifiques a mis en lumière d'autres mécanismes qui pourraient expliquer le lien entre les biofilms et les processus morbides. Dans cette optique, l'épigénétique est sans doute le plus passionnant des nouveaux domaines de recherche et elle est en voie de révolutionner la manière dont nous envisageons les processus morbides, la sensibilité individuelle et la réponse au traitement3,4.

L'épigénétique fait référence aux changements dans l'expression génétique qui ne résultent pas d'altérations dans le code génétique en soi (mutations). Les changements épigénétiques sont causés par des modifications biochimiques dans les bases nucléotidiques, qui ont pour effet d'altérer la structure tridimensionnelle de l'ADN et d'empêcher de ce fait la lecture du code génétique (blocage ou diminution de l'expression génétique). Les changements épigénétiques font en sorte que certains gènes qui étaient auparavant exprimés échappent ou deviennent moins accessibles au système de transcription qui traduit le code génétique en des protéines fonctionnelles.

En ce qui concerne les biofilms bactériens, les changements épigénétiques dans les tissus hôtes sont souvent très spécifiques de certains gènes qui jouent un rôle important dans la résistance des tissus à la colonisation et à la dégradation. Dans le cas d'infections et d'inflammations comme les maladies parodontales, ces changements entraînent souvent l'inactivation des défenses de l'hôte ou une diminution de la résistance à la dégradation tissulaire. Il est important de souligner que les changements épigénétiques se poursuivent durant la division cellulaire; l'altération des tissus de l'hôte est donc permanente.

Le biofilm buccal est une structure unique qui subit un processus de maturation qui fait intervenir des colonisateurs précoces, intermédiaires (complexe bactérien orange) et tardifs (complexe bactérien rouge). Les espèces colonisatrices précoces créent un environnement propice au développement des espèces tardives. Les bactéries du biofilm communiquent entre elles et résistent aux défenses de l'hôte et aux antibiotiques. Les complexes bactériens orange et rouge (en particulier Porphyromonas gingivalis et Campylobacter rectus) semblent être les plus virulents, car ils ont tendance à créer des ulcérations, à libérer des toxines qui détruisent les cellules immunitaires et à échapper au système lymphatique. Comme les tissus gingivaux sont très vascularisés, le sang qui y circule devient une porte d'entrée généralisée.

Selon de récentes données, certains complexes bactériens orange et rouge (en particulier C. rectus) peuvent causer des changements épigénétiques dans les cellules et les tissus3. Ces changements ont pour effet d'inactiver les gènes qui interviennent dans les mécanismes locaux de défense et de guérison (facilitant la colonisation et la dissémination), dans la régulation de la fonction endothéliale vasculaire (réduisant la perfusion des tissus et augmentant les lésions inflammatoires) et dans le métabolisme de l'hôte (générant plus de glucides pour alimenter la croissance et la reproduction des bactéries) et ils confèrent ainsi aux microorganismes d'importants avantages en termes de survie.

Ces données auront une incidence directe sur les indices cliniques classiques (p. ex., indice de plaque, indice gingival ou saignement au sondage, profondeur de la poche parodontale, perte d'attache) et les facteurs de risque (tabagisme, génétique, maladie systémique et âge) qui sont utilisés pour diagnostiquer les maladies parodontales et déterminer les patients à risque. Il se pourrait que nous devions envisager un tout nouveau paradigme fondé sur une médecine individualisée qui tiendra compte de la présence de biofilm, de la persistance des complexes bactériens orange ou rouge, des saignements sans égard à la profondeur des poches parodontales (ou de l'absence de saignement associée à des poches profondes) et des changements épigénétiques dans les tissus parodontaux.

De plus, les changements épigénétiques dans les tissus parodontaux pourraient faciliter le rétablissement rapide d'un biofilm virulent et aider à expliquer les cas réfractaires de parodontite. En pareils cas, la chirurgie parodontale pourrait être justifiée si elle peut réussir à éliminer les tissus modifiés par voie épigénétique qui sont susceptibles de contribuer au maintien d'une maladie évolutive.

Il a également été démontré que les biofilms bactériens (en particulier C. rectus) causent non seulement des changements épigénétiques dans les tissus parodontaux locaux, mais aussi des modifications dans des tissus cibles ailleurs dans l'organisme3. L'exemple le plus probant est celui du placenta, où des changements épigénétiques ont été associés à des issues défavorables de la grossesse. Il semble ainsi que C. rectus cause, dans le placenta en développement, des changements qui entravent la perfusion et entraînent une inflammation qui provoque la contraction des muscles lisses de l'utérus, la rupture des membranes et le syndrome inflammatoire néonatal. C. rectus est un important organisme «abortif» en médecine vétérinaire (notamment dans l'industrie équine) et, selon de nouvelles données, la présence de cet organisme triplerait le risque chez les humains3. Il a aussi été démontré que C. rectus réduit l'expression du facteur de croissance in utero, ce qui pourrait être un facteur important dans la restriction de la croissance du fœtus.

Il est probable que l'épigénétique aura une importance tout aussi grande que les mutations génétiques classiques dans la pathogenèse des maladies. Grâce aux progrès de la technologie, notre compréhension de ce domaine de la biologie s'améliore rapidement et de nouvelles données laissent croire que les changements épigénétiques jouent un rôle déterminant dans les maladies inflammatoires comme la parodontite.

L'AUTEUR

Anthony M. Iacopino, DMD, PhD, est doyen, professeur de dentisterie restauratrice et directeur du Centre international de santé buccodentaire-santé systémique à la Faculté de médecine dentaire de l'Université du Manitoba, à Winnipeg (Manitoba). Courriel : iacopino@cc.umanitoba.ca.

Références

  1. Iacopino AM. Oral biofilms: the origin of cross-reactive antibodies involved in systemic disease? J Can Dent Assoc. 2009;75(3):180-1.
  2. Iacopino AM. What is the role of inflammation in the relationship between periodontal disease and general health? J Can Dent Assoc. 2008;74(8):695.
  3. Barros SP and Offenbacher S. Epigenetics: connecting environment and genotype to phenotype and disease. J Dent Res. 2009;88(5):400-8.
  4. Wilson AG. Epigenetic regulation of gene expression in the inflammatory response and relevance to common diseases. J Periodontol. 2008;79(8):1514-19.