Création d’un réseau de recherche pour les dentistes généralistes : les leçons apprises d’un projet pilote

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Étant donné la demande pour un exercice fondé sur les faits (EFF) en soins de santé et, plus récemment, dans les champs de recherche, pour des recherches appliquées et pour le transfert des connaissances acquises en applications pratiques, il est maintenant essentiel de trouver des moyens pour relier recherche et exercice. Une solution consiste à créer des réseaux de fournisseurs de soins de santé qui sont prêts à s’engager dans la recherche, surtout en fournissant des données au sujet de leurs patients et des traitements qu’ils reçoivent. Aux États-Unis et en Europe, il existe déjà des réseaux de médecins et de dentistes1-5.

De telles initiatives peuvent être particulièrement utiles en dentisterie, où l’exercice s’appuie rarement sur une cueillette des données touchant les procédures effectuées et les résultats obtenus dans le milieu où la vaste majorité des soins dentaires sont offerts, c’est-à-dire dans les cabinets privés. Ce n’est guère surprenant, étant donné que la plupart des dentistes des pays industrialisés travaillent dans des entreprises privées et autonomes. Cependant, si nous réussissons à créer et à maintenir des réseaux collaboratifs comprenant des chercheurs et des dentistes, nous aurons une base fonctionnelle pour un EFF, le transfert des connaissances et la dentisterie organisée.

Que faut-il pour créer un tel réseau? Est-ce faisable? Fonctionnera-t-il? Nous tentons de répondre à ces questions en nous inspirant des résultats d’un projet pilote de réseau de recherche mené à Montréal, au Canada, et évalué à partir d’entrevues personnelles avec des participants choisis.

Méthodes

Un réseau en ligne a été créé par des chercheurs de la Faculté de médecine dentaire de l’Université McGill afin de voir s’il est possible de créer et de maintenir un réseau de dentistes généralistes pour 1 an. Les chercheurs principaux (CB, PA) ont recruté au hasard 11 dentistes montréalais. L’échantillon était restreint par le budget et des problèmes de logistique. Les dentistes participants ont reçu gratuitement des ordinateurs et le logiciel nécessaire. Chaque semaine, ils ont recueilli et transmis des données aux chercheurs en se servant du site Web de l’étude.

Au cours d’une période d’un an, 16 sujets de recherche couvrant l’épidémiologie descriptive, l’évaluation des traitements et la gestion du cabinet ont été explorés. Les dentistes participants ou d’autres membres de leurs cabinets ont recueilli les données sur des fiches, puis à la fin de chaque semaine, en ont présenté un sommaire dans le site Web de l’étude. Une fois terminé chacun des sujets de recherche, les chercheurs ont rassemblé les données de tous les cabinets des dentistes et les ont analysées respectivement et collectivement. Ensuite, les chercheurs ont communiqué aux dentistes les rapports sur ces données en y joignant les commentaires.

Les 11 dentistes ont tous participé au projet jusqu’à la fin. Ils ont été en mesure de recueillir et de transmettre des données pour toutes les études au moment indiqué, portant ainsi le taux de réponse à 96,7 %.

Les chercheurs principaux désiraient obtenir de la part des participants des commentaires plus détaillés touchant leur expérience, les avantages qu’ils ont tirés des résultats des recherches et l’usage qu’ils comptaient faire du réseau à l’avenir. C’est pourquoi des entrevues qualitatives ont été personnellement tenues avec des participants (4 chercheurs et 4 dentistes).

Évaluation générale

En général, les participants ont déclaré le projet satisfaisant, et il a été démontré que la création d’un réseau de recherche pour les dentistes est faisable, même s’il y a eu des failles en raison principalement du petit échantillon et du faible budget.

L’analyse des données qualitatives recueillies au cours des entrevues a livré des résultats intéressants qui ont mis en lumière les différences entre les chercheurs et les dentistes et révélé que, bien que la création d’un réseau soit faisable, plusieurs points doivent être étudiés avec soin afin de pouvoir atteindre les objectifs d’un tel projet.

Les chercheurs et les dentistes participants avaient des motifs différents pour se joindre au réseau. Les dentistes ont surtout vu dans le réseau un moyen de réduire leur isolement professionnel et d’établir des relations avec d’autres professionnels et universitaires. Pour leur part, les chercheurs y ont surtout vu un outil pour produire plus de recherches (c’est-à-dire une source de données de la part d’un groupe important mais pratiquement inexploité) et pour promouvoir l’EFF.

Les dentistes ont surtout vu dans le réseau un moyen de réduire leur isolement professionnel. Les chercheurs y ont surtout vu un outil pour produire plus de recherches.

Évaluation du volet recherche

Lors des entrevues, des discussions touchant le volet recherche du réseau pilote ont révélé des différences cruciales. Selon les chercheurs, les études étaient intéressantes et utiles pour l’exercice de la dentisterie, alors que pour les dentistes, les sujets ont paru moins «stimulants» et guère utiles. Les questions liées à la recherche ont été formulées en grande partie par les chercheurs; bien qu’on ait invité les dentistes à faire des commentaires et qu’on leur ait fait parvenir les grandes lignes des études bien à l’avance, ils sont demeurés passifs et ont fait la cueillette des données demandées. Ceci indique que le succès des aspects mécaniques du réseau pilote, à savoir la cueillette de données, leur traitement et la distribution des résultats, ne mène pas nécessairement à des applications pratiques et à l’utilisation de nouvelles informations.

Outre le petit échantillon et le défaut de généralisabilité des résultats, d’autres facteurs ont sans doute contribué à faire en sorte que des attentes soient déçues. Un examen des documents du projet a révélé que les dentistes et les chercheurs se sont réunis seulement 2 fois : au début et à la fin du projet. Entre-temps, ils ont surtout communiqué par l’entremise de la coordonnatrice du projet. Ce défaut d’interaction n’a sans doute pas permis d’apporter des améliorations possibles au cours du déroulement du projet.

Les possibilités des réseaux de recherche

Les réseaux collaboratifs réunissent des gens de différentes formations, ayant des attitudes et des attentes différentes. Dans ses Notions sur les réseaux, la Fondation canadienne de recherche sur les services de santé souligne l’importance des communications et des interactions régulières entre les membres d’un réseau afin de trouver des sujets communs et de fixer des objectifs communs : «Pour encourager l’efficacité d’un réseau de connaissances, il est important de favoriser les occasions, comme les échanges en personne, qui permettent l’élaboration d’un vocabulaire partagé et d’une compréhension commune d’objectifs, de pratiques et d’expériences souvent disparates6

Touchant le transfert des connaissances, 2 points importants sont nécessaires pour assurer l’application des nouvelles connaissances : l’intégration et la simplification.7 L’intégration peut se faire en invitant les utilisateurs de la recherche à formuler et à effectuer cette recherche, et la simplification signifie présenter les données sous une forme qui peut être aisément comprise par l’utilisateur. Dans le cas du réseau pilote, ces 2 points n’ont pas été pleinement étudiés. Par ailleurs, il aurait sans doute fallu une certaine formation en recherche visant à préparer les dentistes à leur nouveau rôle. Par exemple, le Réseau des praticiens engagés dans la recherche appliquée et l’apprentissage5, un réseau de recherche dentaire lancé aux États-Unis en 2004, exige que ses cliniciens participants aient reçu une formation en recherche avant de devenir des membres actifs du réseau.

Quant à la possibilité de créer un grand réseau collaboratif, les dentistes et les chercheurs de notre étude se sont tous montrés favorables. En fait, il s’agit seulement d’une question de temps avant que ne devienne indispensable l’intégration des technologies de l’information en dentisterie organisée. À notre avis, cependant, il est important, en planifiant un grand réseau, de songer aux besoins des futurs participants et de savoir s’ils sont prêts pour une telle initiative afin de pouvoir déterminer la structure et l’étendue du réseau.

Recommandations

En nous appuyant sur les résultats de notre étude, pour la création d’un grand réseau de recherche, nous recommandons :

  • de faire appel à une équipe de chercheurs des institutions universitaires et de travailler conjointement avec des organismes dentaires
  • d’offrir aux dentistes participants une formation en recherche et les faire participer à la synthèse des travaux de recherche
  • d’évaluer fréquemment l’impact des résultats des recherches sur les membres de la communauté dentaire : dentistes, chercheurs et décideurs.

LES AUTEURS

Mme Makansi est une candidate au doctorat à la Faculté de médecine dentaire, Université McGill, Montréal (Québec).

Le Dr Bedos est professeur agrégé à la Division santé buccodentaire et société, Faculté de médecine dentaire, Université McGill, et professeur auxiliaire à la Faculté de médecine, Université de Montréal, Montréal (Québec).

Le Dr Allison est doyen de la Faculté de médecine dentaire, Université McGill, Montréal (Québec).

Remerciements : Nous tenons à remercier le Réseau pour la recherche en santé buccodentaire et des os qui a financé le projet pilote du réseau. Nous remercions également tous ceux qui ont contribué au projet : Marie-Claude Loignon, adjointe à la recherche et coordonnatrice du projet pilote; le Dr Mike Benigeri; et tous les dentistes qui ont participé à l’étude.

Écrire à : Mme Nora Makansi, Unité de recherche sur la santé buccodentaire et société, Faculté de médecine dentaire, Université McGill, 3550, av. de l’Université, Montréal (QC) H3A 2A7. Courriel : nora.makansi@mail.mcgill.ca

Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues et politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.

Cet article a été révisé par des pairs.

Références

  1. Boussard E, Flahault A, Vibert JF, Valleron AJ. Sentiweb: French communicable disease surveillance on the World Wide Web. BMJ. 1996;313(7069):1381-2; discussion 1382-4.
  2. Chauvin P, Valleron AJ. Participation of French general practitioners in public health surveillance: a multidisciplinary approach. J Epidemiol Community Health. 1998;52 Suppl 1:2-8S.
  3. Scottish Dental Practice Based Research Network. Dundee, UK. 2008. Disponible : www.scottishdental.org/pbrn (accédé le 12 août 2010).
  4. Dental Practice-Based Research Network. Birmingham, Ala. 2005. Disponible : www.dentalpbrn.org/home.asp (accédé le 12 août 2010).
  5. Practitioners Engaged in Applied Research and Learning. New York. n.d. Disponible : https://web.emmes.com/study/pearl/index.htm (accédé le 12 août 2010).
  6. Notions sur les réseaux II: Réseaux de connaissances. Ottawa: Fondation canadienne de recherche sur les services de santé; 2005. Disponible : http://www.chsrf.ca/knowledge_transfer/pdf/network_notes_2_f.pdf (accédé le 12 août 2010).
  7. Choi BC. Understanding the basic principles of knowledge translation. J Epidemiol Community Health. 2005;59(2):93.