Redressons la barre : les consultations chez le dentiste avant l’âge de 1 an

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Le premier jour d'avril, le Mois national de la santé buccodentaire, j'étais l'une des hôtesses bénévoles qui s'occupaient du kiosque de la Société dentaire d'Ottawa au Salon des parents et des enfants de la capitale. Curieuse, j'ai mené une petite enquête informelle pour savoir combien d'enfants de la région d'Ottawa sont examinés par un dentiste à l'âge de 1 an. J'ai vite constaté qu'il y en avait très peu : moins de 10 % des parents avaient amené leur enfant chez le dentiste avant son premier anniversaire.

Paradoxalement, des cabinets de dentiste ont répondu à des parents qui voulaient prendre rendez-vous pour leur enfant de 12 à 24 mois de revenir quand celui-ci atteindrait 3, 4 ou même 5 ans. D'autres encore ont dit d'attendre que toutes les dents soient percées. Je comprends que certains dentistes ne se sentent pas à l'aise de traiter de très jeunes enfants. Or, le fait de carrément décourager des parents bien informés de demander un examen pour leur poupon cause non seulement un grand embarras pour tous, mais va aussi à l'encontre des efforts pour valoriser notre profession et lui assurer un statut digne de confiance. À mon avis, un redressement de la barre s'impose.

Lacune dans les soins buccodentaires chez les très jeunes enfants

Avant de continuer, je dois admettre que, même si je savais que l'Académie canadienne de dentisterie pédiatrique (ACDP) fait la promotion du concept de « foyer des soins dentaires » avant l'âge de 1 an1 et que l'ADC recommande que les poupons de moins de 6 mois subissent une évaluation dentaire avant l'apparition de la première dent ou l'âge de 1 an2, j'ai fait fi de ces recommandations jusqu'au printemps 2009, moment où j'ai assisté à un exposé très convaincant des Drs Ian McConnachie et Stephen Abrams au congrès de l'Association dentaire de l'Ontario. Jusqu'à ce moment, je ne voyais pas la nécessité d'examiner les enfants avant l'âge de 3 ans, d'autant plus que je me sentais très mal à l'aise en présence de bébés.

Entre la nouveauté de traiter un poupon et mon inexpérience auprès des bébés (les enfants de mon conjoint avaient 9 et 11 ans quand je les ai connus), je me sentais au début plutôt mal à l'aise de faire l'examen dentaire d'un enfant de 1 an. Même si bon nombre ne pleurent pas pendant cet examen, bien d'autres le font. Or, on sait tous à quel point les cris d'un patient dans un cabinet peuvent être stressants, surtout ceux d'un enfant. Mais pis encore, j'ai été complètement déconcertée par ce que j'ai découvert : beaucoup de plaque, des signes précurseurs de caries sous forme de taches blanches ou brunes et même de la gingivite. J'ai aussi appris que bien des parents bienveillants, limités par la non-coopération leur enfant de 2 ans, n'arrivaient pas à prodiguer des soins buccodentaires adéquats.

Récemment, un collègue et ami, le Dr Clive Friedman, a encadré un petit groupe d'étudiants qui faisaient l'examen buccodentaire de poupons à London, en Ontario. Ils ont vu 82 enfants de moins de 20 mois, dont 32 qui ont montré des signes précurseurs de caries avec un score de 1 ou 2 au système international de dépistage et d'évaluation des caries. Trois enfants avaient des caries de la petite enfance graves qui nécessitaient une sédation ou une anesthésie générale.

Selon le Dr McConnachie, en 2009, plus de 2 enfants par mois ont été hospitalisés dans la capitale nationale à cause d'une cellulite faciale, une infection sévère et potentiellement mortelle causée par une carie profonde d'une dent. À ce jour, les soins dentaires prodigués sous anesthésie générale mobilisent le plus les salles d'opération au Centre hospitalier pour enfants de l'est de l'Ontario.

Même si nous avons réussi à réduire le nombre de caries dentaires à la fin du XXe siècle, l'incidence des caries de la petite enfance, une maladie évitable, a augmenté considérablement chez les enfants de 2 à 5 ans.

Nouvelle façon de voir le dépistage et le traitement des caries

Nous devons impérativement changer nos attitudes et nos façons de faire pour inclure les patients de 1 an. Il nous faut aussi reconnaître la nature multifactorielle des maladies buccodentaires. Au congrès de 2001 sur l'établissement d'un consensus sur le diagnostic et la prise en charge des caries dentaires tout au long de la vie, commandé par les Instituts américains de la santé, la carie a été décrite comme une infection bactérienne transmissible et une maladie multifactorielle qui reflète des modifications à au moins l'un des facteurs importants de l'environnement buccodentaire. Le diagnostic requiert la détection de l'apparition de changements réversibles, et non pas simplement la constatation de caries, qui est l'expression irréversible et ultime de la maladie.

Qui plus est, le dépistage et le traitement de caries nécessitent un changement des méthodes de diagnostic et une solide compréhension de l'évaluation des risques et de la prise en charge. Ce changement doit inclure le recours régulier à des modes non opératoires, tels que la reminéralisation, adaptés au niveau de risque de chaque patient.

Mais le meilleur moyen de changer le cours de cette maladie consiste à sensibiliser les parents. En leur montrant les changements de l'émail des dents de leur enfant, nous pouvons leur faire voir les signes précurseurs de la carie. En enseignant aux parents comment résoudre les conflits entourant l'hygiène buccodentaire avec leur enfant, nous pouvons leur offrir des stratégies pratiques pour surmonter la résistance au brossage des dents des enfants en grosse colère.

Santé buccodentaire comme fondement de la santé

Un mouvement naissant voit la santé buccodentaire comme le fondement de la santé générale. Le groupe de travail « Vision 2020 » sur l'avenir de la santé buccodentaire s'est réuni au congrès annuel mondial de la Fédération dentaire internationale à Hong Kong, du 29 août au 1er septembre 2012. Ce groupe soutient qu'il incombe aux professionnels de la médecine dentaire d'aider leurs patients à avoir une bonne santé grâce à une bonne santé buccodentaire.

Comme un canari dans une mine de charbon, la bouche donne des indices de la santé et peut offrir des signes de futurs ennuis de santé. L'accueil des enfants de 1 an dans notre cabinet constitue une occasion de parler de santé en général et de recadrer le dentiste comme figure de proue en santé.

Redresser la barre

Tout cela me ramène au redressement de la barre qui s'impose. J'invite nos organismes directeurs à éclairer la lanterne des professionnels de la santé buccodentaire en élaborant des programmes nationaux qui guident et inspirent les dentistes à devenir des figures de proue en santé. Il faut commencer par un programme exhaustif à l'échelle du pays qui assurera la consultation en cabinet dentaire de tous les enfants avant l'âge de 1 an.

Je crois que bien des dentistes ont de la difficulté à imaginer le déroulement de l'examen d'un enfant de 1 an et comment cela s'intègre au modèle actuel de médecine dentaire axée sur la restauration. Je pense aussi que bon nombre de mes collègues s'accrochent à l'idée que le premier examen dentaire doit avoir lieu avant 1 an seulement dans les collectivités défavorisées ou en médecine dentaire pédiatrique. À mon avis, si l'on clarifie le concept de « foyer des soins dentaires » avant l'âge de 1 an et les données afférentes, bien des collègues seront prêts à adopter les recommandations de l'ACDP et de l'ADC visant le premier rendez-vous des enfants chez le dentiste. Ceux qui choisissent de ne pas traiter les poupons peuvent tout de même suivre ces recommandations en expliquant à leur personnel administratif qu'ils les appuient et en orientant les poupons vers un collègue prêt à s'en occuper.

Il est impératif que les très jeunes enfants subissent une évaluation buccodentaire. Si nous travaillons de concert pour traiter les poupons avant leur premier anniversaire, nous ferons des progrès dans la lutte contre la carie de la petite enfance et mousserons la confiance en notre profession et la valeur qu'on lui accorde.

THE AUTHORS

 

La Dre Pariseau est dentiste généraliste à Kanata, en Ontario. Courriel : toothdoc@rogers.com

Les opinions exprimées sont celles de l'auteure et ne reflètent pas nécessairement les opinions ou les politiques officielles de l'Association dentaire Canadienne.

Cet article a fait l'objet d'une révision par des pairs.

Références

  1. Académie canadienne de dentisterie pédiatrique. Dental Home By Age One – Recognition and Treatment of ECC. Disponible au : http://www.capd-acdp.org/index.php?option=com_content&view=article&id=4:dental-home-by-age-one-recognition-and-treatment-of-ecc-&catid=2:hot-topics&Itemid=4
  2. Association dentaire canadienne. Position de l'ADC sur la première visite chez le dentiste. Mars 2012 Disponible au : http://www.cda-adc.ca/_files/position_statements/first_visit-fr.pdf
  3. Fédération dentaire internationale FDI Vision 2020: Shaping the Future of Oral Health. Disponible au : http://www.fdiworldental.org/documents/10157/e5a69514-515e-401a-b6cc-838be48955ae