Comprendre la propagation à l’encéphale d’une infection dentaire : une étude de cas

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Ce cas d'infection dentaire qui s'est propagée à l'encéphale remonte à 1985, au moment où, en tant que chef intérimaire du Département d'endodontie de la Faculté de médecine dentaire de l'Université de Toronto, j'ai été invité par le personnel médical de l'hôpital Mount Sinai à assister à une autopsie, pour discuter des évènements ayant mené à la mort d'un homme de 30 ans. L'homme était décédé des suites d'une infection cérébrale massive qui s'était manifestée plusieurs jours après un traitement de canal sur une molaire supérieure.

La présente étude de cas examine une cause qui pourrait expliquer la mort de ce patient, sur la base des résultats présentés dans l'article1 « Abcès cérébral consécutif à une infection dentaire chez un garçon de 11 ans : une étude de cas », qui a récemment été publié dans le JADC.

Étude de cas

Ill. 1 : Radiographie de la première molaire supérieure après l'obturation (2.6). À noter l'étendue excessive de la gutta-percha, du canal palatin jusque dans le sinus maxillaire, et le bris de l'instrument pour canaux radiculaires dans le canal mésiobuccal.

Le patient, un homme de race blanche âgé de 30 ans, était en bonne santé (ASA 1) avant que son dentiste généraliste pratique un traitement de canal non chirurgical sur la première molaire supérieure gauche (2.6), sans incident apparent (ill. 1). Le lendemain de l'intervention, le patient a téléphoné à son dentiste pour lui faire part d'une tuméfaction dans la région médiofaciale et d'une douleur au niveau de la molaire traitée. Le dentiste lui a prescrit de l'amoxicilline et un analgésique de puissance modérée. En moins de 48 heures, la tuméfaction et la douleur faciales s'étaient aggravées et le patient avait perdu la vision dans l'œil gauche.

Le patient a été admis à l'hôpital Mount Sinai pour le traitement d'urgence d'une exophtalmie grave et d'une infection de l'œil gauche. Le traitement d'urgence a consisté en une dénudation artérielle et en l'administration d'un antibiotique à large spectre. Des tomodensitométries cérébrales en série ont été réalisées (ill. 2), et une thrombophlébite des sinus caverneux a été diagnostiquée. Le patient est décédé de cette infection massive, plusieurs heures après son admission. Une photographie à l'autopsie a été prise (ill. 3).




Ill. 2 : Tomodensitométries cérébrales en série montrant une obstruction complète du sinus maxillaire gauche, de l'orbite et du sinus caverneux.



Discussion

La radiographie prise après l'obturation (ill. 1) montre l'extrusion d'une grande quantité de matériau d'obturation du canal radiculaire vers le sinus maxillaire, ce qui pourrait avoir causé l'extrusion de tissus infectés du canal radiculaire dans le sinus et l'infection des sinus qui s'est ensuite propagée à l'encéphale. Il n'y a toutefois pas eu suffisamment de temps pour effectuer une mise en culture et un antibiogramme.

Ill. 3 : Photographie à l'autopsie montrant l'écoulement purulent provenant de la narine gauche, l'œdème dans la région médiofaciale gauche, ainsi que l'inflammation et l'exophtalmie de l'œil gauche.

Des similitudes ont néanmoins pu être établies entre la nature et l'évolution de cette infection et un cas récemment publié dans ce journal1 où la bactérie isolée était Streptococcus anginosus. S. anginosus fait partie d'un groupe de coques Gram positif et catalase négative2. Il s'agit de bactéries anaérobies facultatives immobiles, qui présentent des profils d'hémolyse variables (alpha, bêta ou gamma) lorsqu'elles sont mises en culture sur une gélose de sang de mouton. Une particularité clinique importante de S. anginosus est sa capacité de produire une enzyme hautement antiphagocytaire du nom d'intermédilysine, qui peut provoquer la lyse des leucocytes polynucléaires3 et ainsi accélérer la formation d'abcès et en favoriser la propagation.

Dans le cas présenté ici, la voie veineuse est la voie la plus plausible pour expliquer la propagation de l'infection de la dent au sinus, puis à l'œil et à l'encéphale, malgré la présence de valvules dans les veines cérébrales4. Il est probable que l'infection se soit propagée du sinus maxillaire au sinus caverneux par le plexus veineux ptérygoïdien, la veine faciale et la veine sus-orbitaire. Cette voie relativement directe expliquerait l'apparition rapide des symptômes et la mort relativement soudaine du patient.

L'AUTEUR

 

Le Dr Levine est professeur adjoint à la Faculté de médecine dentaire de l'Université de Toronto (programme d'études supérieures en endodontie). Courriel : pulpdr@rogers.com

Remerciements : L'auteur tient à remercier le Dr Calvin D. Torneck du Département d'endodontie, Faculté de médecine dentaire, Université de Toronto, pour son aide à la préparation de cet article.

Références

  1. Hibberd CE, Nguyen TD. Abcès cérébral consécutif à une infection dentaire chez un garçon de 11 ans : une étude de cas. J Can Dent Assoc. 2012;78:c49.
  2. Stratton CW. Infections due to Streptococcus angiosus group. UpToDate. Disponible au : http://www.uptodate.com/contents/infections-due-to-the-streptococcus-anginosus-group. Consulté le 16 octobre 2012.
  3. Okayama H, Nagala E, Ito HO, Oho T, Inoue M. Experimental abscess formation caused by human dental plaque: Microbiol Immunol. 2005;49(5):399-405.
  4. Zhang J, Stringer MD. Ophthalmic and facial veins are not valveless. Clin Experiment Ophthalmol. 2010;38:502-10.